
« Falbala », « Rielsfera », « OUIGO España » : c’est vrai que l’on peut s’y perdre un peu. Qui est qui ? Comment se construit l’offre low-cost de SNCF pour le marché espagnol ? Pourquoi la future offre ibérique semble si éloignée du modèle français que nous connaissons depuis 2013 ? En quoi OUIGO a su adapter son modèle pour essayer de correspondre aux attentes des voyageurs des différents marchés ? Services à bord, aménagement des rames, modifications techniques, interopérabilité, livrée des trains… En quoi cette offre est-elle finalement complémentaire, cohérente, et dérivée du modèle français ?
Suivez-moi, et décortiquons ensemble ce que l’on sait du déploiement du plus ibérique des trains français !
Avant toute chose, je tiens simplement à rappeler que je ne suis ni expert en marketing, ni en communication, et encore moins en stratégie commerciale. Les éléments que je vais aborder ici sont des éléments que tout le monde peut avoir à sa portée en écumant les différentes sources sur le net. L’analyse que je vous propose n’engage évidemment que moi.
LE NOM
Commençons par le commencement, à savoir, le nom de ces services : OUIGO. L’annonce a surpris de ce côté des Pyrénées, tant d’autres noms ont pu être entendus et lus sur la toile. En tête de liste : « Falbala » et « Rielsfera ».
Retour en 2012. SNCF annonce travailler sur le premier train à grande vitesse low-cost au monde. Un train venant « édulcorer » le paysage ferroviaire et commercial français. Son nom de code, ASPARTAM (normal pour un édulcorant, me direz-vous…), est cité dans plusieurs articles de presse, à l’époque. Ce n’est que bien plus tard que le nom commercial de « OUIGO » a été présenté et officialisé. Dans le cas du déploiement espagnol, l’histoire est similaire, avec cependant un nouveau maillon de la chaîne. C’est ainsi que « Falbala » semble plutôt désigner le projet en lui-même, tel un « nom de code » pour ce qui était alors encore certainement (j’imagine) très confidentiel.
Mais quid de « Rielsfera », alors ?
Là où le déploiement en France s’appuyait évidemment sur SNCF, qui détient la marque OUIGO, le groupe ne détenait pas vraiment de filiale espagnole qui pouvait être associée commercialement à ce nouveau produit. De plus, SNCF n’est décemment pas une Entreprise Ferroviaire espagnole. Rielsfera (« La sphère du rail » littéralement) est donc la société espagnole, filiale de SNCF, créée en 2019 pour piloter ce déploiement.

Aujourd’hui, c’est donc tout naturellement que le nom commercial du service a été dévoilé. Ce sera donc : « OUIGO España » !
MAIS ! Après que quelques photos de la première rame OUIGO España soient sorties, il s’avère que la numérotation UIC des rames mentionne le propriétaire/exploitant/Entreprise Ferroviaire sous le nom « OUIES » (contraction de « OUIGO España »). Il y a donc fort à parier pour que Rielsfera n’ait été une entreprise que le temps du montage du projet, devenue ensuite OUIGO España pour prendre le relais en tant qu’EF espagnole.
Contrairement au montage français, où OUIGO n’est pas une filiale mais simplement un produit/une marque de SNCF Voyageurs, le produit espagnol s’appuie bien sur une filiale SNCF. Première grosse différence entre la France et l’Espagne. On se retrouve donc avec deux produits nominativement identiques, mais montés totalement différemment. Et ce n’est que le début…
A BORD DES TRAINS
On a bien compris que l’idée, en gardant le nom OUIGO, était d’avoir une certaine unité au sein des produits du groupe SNCF, et une cohérence entre les offres lancées en France et ailleurs. Aussi, la réputation de OUIGO en France n’étant plus à faire, elle peut profiter au lancement du produit chez nos voisins espagnols. Avec un nom totalement différent, la page aurait alors semblé bien blanche… Sans compter que SNCF ne s’est jamais cachée de souhaiter « exporter le concept OUIGO à l’étranger ». Alors quitte à exporter l’idée, autant aller au bout des choses, et également conserver le nom, surtout que cette consonance anglophone se prononce très bien en Castillan et en Catalan ! Jusque-là, why not (enfin… « Por qué no »).

Mais alors en toute logique, le train OUIGO espagnol devrait être rigoureusement identique au train français !
Que nenni !
Rappelons tout d’abord comment se décline le concept OUIGO en France : des trains adaptés, modifiés, rénovés, dont la capacité est augmentée, une classe unique, des sièges plus fins, moins larges, et plus proches, un bar supprimé, des places ajoutées en remorque 4 (ex bar), une disposition en 3+1 en salles basses des remorques 1, 2 et 3 (c’est une question de structure des remorques Duplex), des billets en vente uniquement sur Internet, des services payants, des prises en option, des suppléments bagages, une taille de bagage cabine imposée (pour tenir sous les sièges), un filtrage et contrôle dès l’embarquement, bref… Vous connaissez la chanson, et le secteur aérien nous y a également bien conditionné.
Avant de s’intéresser à la déclinaison espagnole de OUIGO (car vous aurez bien compris que certains points ne se retrouveront pas dans la version ibérique du train rose et bleu), on va s’intéresser rapidement aux justifications de ces caractéristiques.
Globalement, en France, on va essayer de remplir le train au maximum. Et même, au-delà de sa capacité initiale. Comment ? En modifiant des tronçons Duplex des années 1995/2000, en les passant complètement en rénovation (Opération Mi-Vie – OPMV), pour les passer au standard OUIGO. Des frais, oui, mais qui auraient de toutes façons été nécessaires si ces tronçons avaient eu vocation à rester au sein du parc TGV/TGV INOUI. Alors autant « rentabiliser » les choses, et profiter du passage en OPMV de ces rames, pour les transformer intégralement ! Quoi qu’il en soit, elles auraient été refaites à neuf, et le coût est bien moindre qu’acheter du matériel neuf. Au passage, on attelle ces tronçons remis à neuf avec les motrices parmi les plus fiables du parc, créant ainsi des rames « hybrides » : croisement entre Duplex de première génération et rames DASYE. C’est ainsi que les rames OUIGO françaises, les DASYE HD (Duplex ASYnchrones Ertms Haute Densité) comportent finalement 634 places, contre 510 pour une rame non modifiée. Gain : entre 24% et 25% de places supplémentaires. Pas mal !
Sauf qu’un train, et surtout un TGV, c’est un peu comme quand vous prenez l’autoroute avec votre voiture : vous passez au péage. Pour avoir un « sillon », c’est à dire une « trace horaire », un « créneau de circulation » sur une ligne à grande vitesse, c’est pareil. Un train va payer un péage « forfaitaire », qui se retrouve bien entendu immédiatement répercuté sur le coût d’exploitation du train, et évidemment sur le prix du billet. Donc on comprend rapidement que plus le train comporte de places, et surtout, plus son taux de remplissage s’approche de 100%, plus le coût du péage est réparti sur l’ensemble des voyageurs, et donc plus, une fois ramené au voyageur, ce coût est faible. In-fine, le péage représente une part de moins en moins importante du prix du billet. Et à part égale, le prix d’un billet OUIGO peut donc être moins élevé qu’un même trajet sur TGV/TGV INOUI. Ça, c’est pour le principe.
Reste que les péages sont calculés de façon différente en fonction des pays. Il n’y a pas forcément de règle universelle au calcul des péages. Vous me voyez venir ? Dit autrement, la recette du train ultra-capacitaire, qui convient au mode de calcul français, n’est peut-être pas adaptée à tous les pays. Pire ! Imaginons un pays qui établirait ses péages au nombre de places dont le train dispose (que les places soient occupées ou non). Plus votre train sera capacitaire, plus votre péage va s’envoler. Et entre-nous, pour faire du low-cost, on a connu mieux comme recette miracle… Bien entendu, ce n’est qu’un exemple, mais il semble bien que les péages des lignes à grande vitesse espagnoles soient donnés pour un nombre de places établi par train (365 places/train dans l’article en lien) !
Dit encore différemment : le modèle OUIGO tel qu’établi en France (pour la France), peut ne pas convenir à tous les marchés européens. Il doit donc être capable de s’adapter, d’évoluer. Il faut que OUIGO soit à géométrie variable.
Alors si on ne cherche plus forcément à faire de l’ultra-capacité, la modification lourde des aménagements des rames n’est, par conséquent, plus nécessaire (cela fait donc des frais en moins). On peut donc logiquement utiliser des rames plus récentes, qui ne nécessitent pas d’opération de maintenance lourde dans l’immédiat (en plus ça tombe bien, certaines rames récentes sont déjà aptes à circuler en Espagne). Du coup ! On ne réquisitionne plus (non plus) le bar pour y placer des sièges. Mais alors au final…on garde le bar ?!
Oui. On garde le bar.
Deux choses. La première, c’est que quitte à s’adapter à un marché (donc à des gens et à leurs attentes, si je reformule), autant prendre en compte les habitudes de consommation des futurs clients, et leur rapport au service en question, ici : le bar. Rien ne nous dit que nos voisins espagnols n’ont pas un attachement plus fort au bar que nous…
Pour cela, je vous laisse comparer la carte du bar d’un TGV INOUI domestique (France <> France) et celle d’un TGV INOUI « Elipsos » (France <> Espagne). Certes, certains produits s’y retrouvent (coucou au Croque Monsieur), mais globalement, sans même parler qualité des produits ou diversité de l’offre, les deux cartes sont tout simplement différentes. Signe que les attentes et goûts des différents types de clients changent d’un pays à l’autre. L’attachement au service aussi. Le public français est peut-être prêt à renoncer au bar pour payer son billet 15€, mais les espagnols sont-ils prêts aux mêmes concessions ?
La seconde chose à prendre en compte, c’est qu’il n’y a pas de petits profits, et qu’un bar peut tout à fait être dans la dynamique du train low-cost, où la plupart des services sont déjà payants, ou du moins, en supplément.
Ne perdons pas de vue que, d’une part, le low-cost ferroviaire n’existe pour le moment pas en Espagne : le lancement du train à bas coût de l’opérateur historique RENFE, le train AVLO (comme quoi nous ne sommes pas les seuls à trouver des noms faisant des jeux de mots), est repoussé suite à l’épidémie de COVID-19. Mais entre nous, même sans cela, le projet a toujours eu du plomb dans l’aile : lancé comme projet EVA, puis stoppé, puis relancé comme AVLO, dont le lancement ne cesse d’être repoussé. Ça, pour le coup, c’est une petite aubaine pour le produit SNCF qui n’aura, dans l’immédiat, pas de concurrence de l’opérateur historique sur ce type de services.
Ensuite, ne perdons pas de vue que OUIGO introduit aussi la notion de matériel à grande vitesse à 2 niveaux sur des trajets domestiques (Espagne <> Espagne) ! A l’exception des TGV de la coopération France <> Espagne, le concept de train à grande vitesse « Duplex » n’existe pas là-bas ! On arrive donc déjà d’emblée avec un train ultra-capacitaire, par rapport à un AVE (le TGV local), et ce sans lui avoir apporté de modification d’aménagement !
Alors dans les faits, on garde le bar, on ne rajoute pas de sièges, cela veut donc dire qu’on garde 2 types de sièges (les ex 1ère classe et les ex 2nde classe). Par contre, on passe en classe unique, comme en France. Qu’à cela ne tienne, le siège « ex 1ère » sera vendu comme un siège « XL », plus large, plus confortable, s’inclinant pneumatiquement… Une « Première Classe » qui n’en est pas une, en somme : OUIGO PLUS, pour 9€ de plus. Les prises sont déjà présentes d’origine dans toutes les remorques (contrairement aux éléments français) : une par siège pour les ex1ère classe (remorques 1, 2 et 3), et une pour deux pour les ex 2nde classe (remorques 5, 6, 7 et 8). Elles ne peuvent donc pas vraiment être vendues comme des options. Les rames sont aussi déjà équipées Wifi (ce service tend déjà à se développer sur OUIGO en France avec OUIFI et OUIFI+PLAY), ce qui permet d’avoir accès à une bibliothèque de divertissement comprenant une variété de films.
Bon bref, tout cela pour dire qu’à l’intérieur des trains aussi, on finit par s’éloigner du modèle français, tout en reprenant toutes les ficelles d’origine, sans pour autant tirer sur les mêmes qu’en France. On s’adapte, on fait évoluer le modèle ! Bon, on ne recale pas forcément tout non plus, on garde la vente de billets sur Internet uniquement, le filtrage et contrôle à l’embarquement, le bagage supplémentaire payant (mais inclus à OUIGO PLUS), les conditions d’échange et de remboursement…
A L’EXTÉRIEUR
Forcément, avec un produit qui semble se dériver étroitement du modèle français, mais qui reste, sur le fond, très contrasté, impossible d’avoir un train qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux trains français.
Oui, imaginez un voyageur français, habitué au OUIGO français, en voyage en Espagne. Bonne surprise pour lui de constater une « différence » de services à bord. Mais si le train est exactement le même qu’en France, cela risque de créer une confusion, et au final de perdre le client/voyageur. « Pourquoi le même train est-il mieux ailleurs ? » A l’inverse, imaginez un voyageur espagnol habitué des services OUIGO España, qui voyage à bord de OUIGO en France… La déception risque d’être, là aussi, source d’incompréhension. Alors que faire ? Garder l’image OUIGO tout en la déclinant d’une façon suffisamment similaire à la livrée française pour que la filiation soit évidente, mais qui soit aussi suffisamment différente pour qu’elle traduise une évolution du concept ? C’est, en quelques sortes, le challenge à relever.
Reprenons la première phrase de ce thème : « un produit qui semble se dériver étroitement du modèle français, mais qui reste, sur le fond, très contrasté ». C’est, mot pour mot, ce qui définit la livrée OUIGO España : un motif identique à la livrée française, seule la couleur de fond change et forme un contraste visuel important, et traduisant l’adaptation du concept. Le train n’est plus à fond bleu, mais blanc ! Tout le reste est strictement identique à la livrée française, jusqu’au nez noir…et à son logo SNCF !
Habile, Bill !

Mieux ! Nos voisins espagnols disposent d’une flotte de trains à grande vitesse (Alta Velocidad Española – AVE) dont la livrée est très majoritairement blanche. Avec ce train, qui sort déjà du lot (2 niveaux, touches de couleurs, concept nouveau, etc.), on apporte un élément visuel rassurant, déjà inscrit dans les moeurs. Un train à grande vitesse, en Espagne, c’est principalement blanc. OUIGO España ne déroge ainsi pas à la règle, et se crée de fait une place au sein de la confiance du public espagnol. Force est d’admettre qu’il aurait été légèrement plus déroutant d’investir un marché étranger avec la livrée OUIGO France, ou celle du local AVLO qui, lui, peut se permettre une certaine fantaisie, au même titre que OUIGO le fait en France…
Autre avantage ! Le blanc renvoie par définition les rayons du soleil. Un train blanc aura donc tendance à moins chauffer qu’un train plus sombre. Dans un pays où les températures sont plus élevées qu’en France, on permet ainsi à la technique du train de souffrir moins excessivement de la chaleur ibérique (donc accessoirement on réduit légèrement la sollicitation, l’échauffement, et donc la probabilité de défaillance des blocs de climatisation du train).
Nous disions « habile ». Je trouve, tous comptes faits, cette livrée extrêmement intelligente, cohérente et sensée.

Source : https://twitter.com/dodierkevin_/status/1336803317645709313
TECHNIQUE / INTEROPÉRABILITÉ
Bon, j’en vois d’ici me dire « ce serait génial qu’on ait des OUIGO France <> Espagne ! » ou « ce serait bien que nos OUIGO aient la même déco ! ».
Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous aurez sans doute vous-mêmes les réponses : en l’état actuel des choses, non. Les produits français et espagnol étant radicalement différents, mais judicieusement dérivés et complémentaires, tout en restant fondamentalement incompatibles en l’état, exploiter un train mi-français mi-espagnol serait rapidement un casse-tête : sur quel modèle s’aligner ?
Pour ce qui est de la livrée, rappelons-nous que OUIGO circule en France depuis 2013. Il fallait que OUIGO sorte « du lot » pour être facilement identifiable et se créer une image neuve dans l’esprit des français (à tel point que beaucoup pensent OUIGO indépendant de SNCF). « Le lot » ? C’est la flotte de TGV (au départ) devenue TGV INOUI qu’exploite SNCF. Comment un voyageur OUIGO repère-t-il son train dans une gare en France ? Il cherche le train rose et bleu parmi les trains gris et…blancs. Cela fait donc 7 ans que les voyageurs se sont habitués à une identité forte, fun, et suffisamment en décalage avec le reste du parc SNCF, et vous voudriez passer les OUIGO France au blanc, alors qu’on généralise la livrée Carmillon sur TGV INOUI, dont les motrices sont en grande partie…blanches…? Sérieusement ? Sans compter que « gommer » la différence visuelle entre les deux produits génèrerait des incompréhensions au sein de la clientèle entre deux produits d’une même entreprise, comme nous l’avons vu juste au-dessus. Et soit dit entre-nous, cela pénaliserait à la fois OUIGO et TGV INOUI. Donc une nouvelle fois, en l’état actuel des choses : non. Je ne dis pas que cela n’arrivera jamais, je dis simplement que selon moi ce rapprochement esthétique, et l’évocation de relations transfrontalières passeront impérativement par un lissage et un rapprochement des deux offres, qui sont aujourd’hui, je pense, trop différentes.
Poussons le raisonnement encore plus loin. Les deux offres sont tellement incompatibles, que l’on peut légitimement se questionner sur l’aptitude des trains à circuler sur les réseaux français et espagnol. Oui, nous avons dit tout à l’heure que des rames du parc TGV étaient déjà aptes à circuler en Espagne : les EuroDuplex 3UH (3U pour « Tri-tensions » – en réalité les rames sont bi-tensions mais pré-câblées pour être tri-tensions -, H pour « Hispaniques »). Ces rames disposent déjà d’équipements de sécurité nécessaires à la circulation en Espagne. Sauf que… Parallèlement au lancement de OUIGO España, les trains de la coopération France <> Espagne « Elipsos » doivent continuer de circuler ! Et ces trains emploient évidemment des…EuroDuplex 3UH. Le nombre de ces rames n’est ni extensible, ni infini. Le parc de RGV2N2 3UH représente les rames 801 à 810, soit…10 éléments. Sachant que les estimations et ambitions de SNCF en Espagne nécessitent une quinzaine d’éléments, et qu’il faut en garder pour les trains Elipsos, les comptes ne sont pas bons Kévin…
Alors que fait-on ?
Tout d’abord, on garde des éléments 3UH de côté pour les trains de la coopération. Ça, c’est fait. Mais il ne nous reste pas assez de rames pour couvrir l’ensemble des besoins pour OUIGO España (du moins à terme). Alors on va puiser ailleurs. Les rames EuroDuplex (ou RGV2N2) ont l’énorme avantage de disposer, quelque soit leur sous-série (3UA pour l’Allemagne, 3UH pour « Hispaniques », 3UF pour la France, 3UF C pour les rames Capacitaires aussi appelées « L’Océane », et je vous fais grâce du « combo » des 3UF TC), d’une base technique rigoureusement identique. Nous avons donc un « stock » de 15 rames 3UF (rames 811 à 825), uniquement aptes France, que l’on peut « facilement » rendre aptes à circuler en Espagne. Je ne ferai pas de détails, mais on va en effet venir ainsi « convertir » des éléments 3UF, conçus pour la France, à la desserte de l’Espagne, et les assimiler à des 3UH, pour les y mélanger et compléter le parc. Au passage, contrairement à la France, le réseau grande vitesse espagnol n’est pas apte à des vitesses supérieures à 300km/h.
Mais du coup… Les offres France et Espagne n’étant pas compatibles, une rame OUIGO España n’a plus rien à faire en France, et une rame OUIGO France n’ira jamais mettre les roues en Espagne (elles n’y sont pas techniquement aptes). Poussons le raisonnement encore plus loin. Les 3UH et 3UF disposent de certains équipements de sécurité uniquement nécessaires à la circulation sur le réseau ferré français ; équipements qui nécessitent une maintenance (qu’ils soient utilisés ou non d’ailleurs). Finalement, est-il pertinent de conserver des équipements spécifiques qu’il faut maintenir (ce qui a donc un coût), alors que le train ne remettra sans doute jamais les essieux sur le territoire français ?

Source : https://twitter.com/dodierkevin_/status/1336803317645709313
C’est ainsi que naissent les « 3UH+ » (apparemment numérotées dans la série S108 en Espagne), dépourvues de certains systèmes de sécurité uniquement liés à la circulation sur le réseau ferré français, et limitées à 300km/h (contre 320km/h nominalement en France). Les 3UH et 3UF utilisées pour OUIGO España sont techniquement « uniformisées » et deviennent donc, uniquement aptes au réseau espagnol (comme en attestent les marquages des véhicules). Au passage, ces modifications sont faites par le constructeur, Alstom, déjà présent sur le sol Espagnol puisqu’en charge de la maintenance de certains trains à grande vitesse locaux pour le compte de la RENFE.
BILAN DES COURSES
Au final, quand on fait le bilan, oui, l’offre OUIGO España semble bien loin en certains points de l’offre OUIGO France. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Au final, OUIGO semble avoir eu la flexibilité, la souplesse, et la capacité à faire évoluer son modèle économique et technique, pour prétendre à un développement correct à l’étranger. Contrairement à la France où OUIGO se veut être un complément aux TGV INOUI exploités par SNCF (donc sans chercher à être en concurrence avec sa propre maison mère), OUIGO España est (hormis la coopération Elipsos), la seule empreinte de SNCF sur le sol Espagnol. Le « complément » n’est pas fourni par ses propres services, mais par d’autres entreprises ferroviaires concurrentes. Il semble donc cohérent que OUIGO cherche à se créer une place intermédiaire entre le low-cost et le train à grande vitesse standard. Une légère « montée en gamme » qui permet de prétendre à rafler les clients du marché low-cost, mais également une partie de ceux du marché standard. En France, pas de « scrupules » à faire du low-cost « pur et dur », puisque la même entreprise (SNCF) fournit des services standards complémentaires, avec TGV INOUI. Dans un milieu concurrentiel, OUIGO España semble se créer sa place entre deux cases définies du marché espagnol. Et au final, c’est ce placement intermédiaire que je trouve judicieux. En effet, il permet (en outre) de ne pas recourir à la modification lourde du matériel roulant, et donc à n’engager relativement que peu de frais, et, au final, à une prise de risque moindre en cas d’échec. Et là est l’essence même d’un service low-cost : pour que le prix de vente soit imbattable, il faut avant tout que les coûts de production et d’exploitation du train soient réduits à la plus simple nécessité.
Je ne dis pas que l’échec est impossible, il va bien falloir de la force à OUIGO et aux autres entreprises ferroviaires pour sortir de la crise sanitaire, mais je dis simplement que la subtilité de OUIGO España est, à mon sens, d’avoir su tirer profit, et conjuguer, un positionnement intermédiaire à cheval entre deux « marchés », et l’utilisation optimale d’un matériel existant (du coup) peu modifié, en calquant une offre plus vaste qu’en France pour toucher le plus grand nombre de clients.
Un dynamisme apparent qui fait la force de OUIGO en France depuis bientôt 8 ans. 8 ans au cours desquels OUIGO a su évoluer y compris sur son territoire natal ! Nous sommes passés des dessertes en gares excentrées, au coeur des villes, petit à petit le parc est passé de 4 rames à plus de 35 rames aujourd’hui ! Et demain ? On parle « OUIFI » à bord, plateforme de divertissement « OUIFI+PLAY », et encore de nouvelles destinations. Au départ, OUIGO, c’était Marne La Vallée <> Marseille / Montpellier / Lyon. Aujourd’hui, OUIGO va jusqu’à Strasbourg, Tourcoing, Nantes, Rennes, Toulouse, Nice, depuis les grandes gares parisiennes et en « inter-secteurs »…
Et si la capacité d’évolution tout en gardant un certain dynamisme était, au final, plus que les petits prix, la force de OUIGO ?
Un immense merci à Kevin (@dodierkevin_) pour l’autorisation d’utiliser ses photos en illustration de cet article.
En cherchant j’ai pas trouvé ce qu’était les rames UF TC, est-ce que quelqu’un saurait m’aiguiller ?
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Les rames en question sont issues de levées d’options ou poursuites de commandes. La commande de base est celle des 3UFC, et sont arrivées ensuite les 3UF TC pour « Tranche Complémentaire », puis MC pour « Marché Complémentaire ».
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