Nous célébrons cette année les 40 ans du TGV, et avec cela, les 31 ans du record du monde de vitesse à 515,3 km/h. Pour marquer le coup, j’avais envie de changer un peu de mon registre habituel, et de vous raconter une petite histoire. Une histoire vraie, celle de mon premier voyage en TGV…
2005. Pour mon dixième anniversaire, papa et maman m’ont offert mon premier voyage en TGV. Depuis tout petit, j’accumulais les coffrets « TGV Atlantique Jouef » (avant qu’ils grillent un à un sur la moquette bleue de ma chambre…), et admirais cette série de TGV, non seulement pour sa ligne, mais aussi car elle était alors détentrice du record du monde de vitesse à 515,3km/h. J’allais donc enfin pouvoir emprunter cette flèche d’acier pour la toute première fois. Habitant le Loiret, la gare TGV la plus proche de la maison était celle de « Vendôme – Villiers sur Loir TGV », à quarante minutes de voiture de la maison. Le cadeau consistait en un aller-retour Vendôme <> Paris, avec visite du musée Grévin à l’arrivée. L’ironie du sort veut que la vitesse du record du monde, qui datait alors de mai 1990, avait été atteinte juste après le franchissement de la gare de Vendôme TGV, bref : ce record avait été battu « chez moi », et j’allais me rendre pour la première fois, sur les lieux de cet exploit…
L’excitation montant jusqu’au « jour J », je ne lâchais pas une petite fiche A4 de couleur verte, reçue avec une collection de trains en métal de chez Hornby. Elle montrait des photos de la rame du record, la rame n°325, stationnée à Vendôme juste après son exploit. J’allais me trouver juste là, sur ce quai en enrobé rouge que l’on pouvait voir sur les photos…

Le jour du voyage, nous sommes arrivés tous les trois à la gare, bien en avance, évidemment. J’avais emmené ma petite fiche verte jusque dans la voiture ; j’ai dû la lire au moins dix fois pendant le trajet jusqu’à la gare. Une fois la fiche laissée dans la voiture, nous sommes entrés dans la gare, et après avoir emprunté le tunnel qui passait sous les voies, nous sommes montés sur le quai direction « PARIS MONTPARNASSE – MASSY ».
Je ne me souviens pas vraiment de cet instant, mais simplement du fait que j’étais dans un état mêlant excitation et appréhension. Je ne tenais pas en place, les mains froides et moites à la fois, les jambes en coton… L’heure d’arrivée de notre rame approchait au rythme du tremblement de mes mains. C’est, bien entendu, dans ces moments-là que le temps passe le plus lentement… C’est idiot, mais au fil que le quai se remplissait, ma grande crainte était que le train ne reste pas assez longtemps à quai pour permettre à tout le monde de monter à bord…

Le moment fatidique arriva. Annonce sonore dans la gare. Le train pour Paris Montparnasse, va entrer en gare voie 4. Je distinguai au loin 2 points blancs intenses et un troisième moins lumineux, juste au-dessus. Mais rapidement, quelque chose me troubla. Au loin, le nez du train ne semblait pas uniformément gris argent, mais partiellement bleu… « Une rame Duplex ? Non, ça ne roule pas ici ! ». Pourquoi le nez de cette rame était-il bleu, bon sang ?! La rame se rapprochait, et je distinguais le gris du nez…autour d’une bande oblique bleue bordée de liserés blancs, et comportant ce qui semble être un texte dans sa partie droite… La distance ne me permettait pas de le lire, mais plus le train avançait, plus c’était net, j’arrivais enfin à lire « 515,3 km/h » sur le nez. « 515,3, comme le record du monde de vitesse ! ». Le nez de la rame passait juste à côté de moi accompagné du vrombissement iconique des ventilateurs du TGV Atlantique, quand j’arrivai à lire son numéro : 325. Les plaques émaillées bleues disposées sur les flancs des cabines de la rame ne laissaient, elles aussi, plus aucun doute. J’étais face à la rame TGV Atlantique n°325, qui avait roulé quinze ans auparavant à 515,3km/h. Cette rame que je convoitais depuis des jours sur ma petite fiche verte, sans pour autant jamais espérer l’emprunter (surtout pour mon premier voyage en TGV) était là. Sous mon nez. Je me trouvais donc, pour mon premier voyage à 300 km/h, sur les lieux presque exacts du record du monde, face au train qui avait battu ce même record. Nous avions 1 chance sur 105 de tomber sur cette rame… J’en aurais versé une petite larme, si le stress et la précipitation de monter à bord n’avaient pas pris le dessus. On tenta alors d’ouvrir les portes pour y prendre place, mais la rame était verrouillée. Une seconde rame était attelée en queue, et seule celle-ci était ouverte au service commercial. La 325, après interrogation du contrôleur, remontait à vide à Paris. Qu’importe. Nous avions voyagé en compagnie de cette rame devenue historique, pour notre premier voyage en TGV…

Que me reste-t-il de cette journée ? Sans doute quelques photos, prises avec un appareil jetable que nous avions acheté pour cette journée. Je me souviens avoir fait des photos de la rame à notre arrivée à Paris Montparnasse, mais qu’après développement, l’ambiance assez sombre de la gare parisienne les avait rendues quasi inexploitables… Mais même si ces photos sont très sombres, je sais au fond de moi qu’elles représentent cette petite plaque émaillée posée sur le flanc de la motrice de la 325.
J’ai remis la main sur la fameuse petite fiche verte de ma collection Hornby. Elle n’est jamais bien loin, et la tenir dans mes mains me procure toujours cette émotion très particulière du retour en enfance, il y a quasiment 20 ans…
Plus tard, fréquentant régulièrement la Gare Montparnasse, dont elle était évidemment une habituée, j’ai croisé la 325 un certain nombre de fois, sans jamais avoir l’occasion de monter à bord. Entre temps, elle avait été rénovée « Christian Lacroix », au cours de quoi elle perdit ses bandeaux bleus frontaux. Elle a néanmoins gardé ses plaques, du moins un certain temps. Ils ont ensuite été remplacés par des autocollants, défraichis et déchirés par les circulations à grande vitesse et les passages à la machine à laver. Autocollants qu’elle arborera tristement jusqu’à son retrait de la circulation, en décembre 2018.
Justement, parlons de son retrait de la circulation. La 325, au même titre que la rame PSE n°16, a pu échapper au démantèlement, du moins un certain temps et très partiellement. D’abord entièrement préservée au titre du Patrimoine SNCF, elle fut stockée chez Alstom, à La Rochelle. Cela impliquait de la transférer, par le rail évidemment, des ateliers de Montrouge Châtillon près de Paris, à La Rochelle. Cette marche fut ainsi son ultime galop à 300 km/h, mais aussi, et surtout, son ultime passage sur les lieux de ses exploits. Oui, on retient la 325 pour son record à 515,3 km/h, mais elle s’était elle-même détrônée, puisque six mois auparavant, le 5 décembre 1989, elle avait déjà battu un record du monde de vitesse, toujours dans les environs de Vendôme, à 482,4 km/h.
Il m’était évidemment impossible de rater cette toute dernière marche, et c’est accompagné de Thomas, mon compère d’aventures ferroviaires et « modélistiques », que je me suis rendu le long de la Ligne à Grande Vitesse, le matin du 13 décembre 2018. Nous étions parés : appareils photos, GoPro, téléphones et drone chargés.
10h13, premiers coups de sifflets. Elle arrive. Le drone est en place et voit la rame arriver, au loin. La GoPro est lancée, pour ne pas perdre une seule image. Mais ce qu’elle aura le mieux immortalisé, c’est le son. La rame arrivant à pleine vitesse passa sous notre nez, et sous nos objectifs, dans un concert de sifflets qui résonnaient dans le creux de la vallée.
Voilà, elle est passée, elle s’en va maintenant vers une belle retraite. Heureux de la savoir (à l’époque) préservée. Mais bien entendu, j’aurais aimé qu’elle porte à nouveau ses plaques et son bandeau bleu…
Toutefois, la boucle est bouclée. Elle était là, à Vendôme TGV pour mon premier voyage à grande vitesse. Et j’étais là pour son dernier voyage à grande vitesse, au PK 166, lieu exact du record, comme un retour aux sources, tout près de la ville dont elle arbore le blason depuis son record : Vendôme…

(MAJ mars 2022)
Alors forcément, quand les festivités d’anniversaire du record de 1990, en ce 18 mai 2021, ont été annoncées… Quand il a été dévoilé que la 325 avait été remise en état par des cheminots passionnés, investis, bénévoles, il était évidemment impossible de ne pas aller la retrouver.
Ce jour posé en congé, rendez-vous est pris, toujours avec Thomas, en Gare Montparnasse pour prendre part à l’événement interne SNCF qui y était organisé. L’occasion de revoir des copains, des collègues, de faire des rencontres et de se dire que c’est aussi pour cela que je fais ce métier, que c’est parce que je suis convaincu qu’on n’innove que quand on garde en mémoire d’où l’on vient, que l’innovation se construit sur la pleine conscience de son patrimoine technique, culturel et humain. L’occasion aussi de regarder en arrière pour constater le chemin parcouru, et toute la passion que je dois à ces femmes et ces hommes rencontrés depuis vingt ans. Et puis je pense à eux en me disant que c’est aussi pour eux que j’avance et que j’ai à coeur de transmettre cette passion, ici dans mes mots, ailleurs, dans l’entreprise ou le monde associatif. Parce que je pense qu’il existe de très belles choses à construire ensemble. Et cette rame, la 325, détentrice de deux records de vitesse, incarne tout cela à mes yeux, puisqu’elle a été le point de départ de mon amour de la technologie et l’histoire du TGV.

Bref, c’est l’occasion d’immortaliser cette belle rame, ses bandeaux et plaques retrouvés, et toute la petite expo qui était disposée sur le quai. Un très beau travail réalisé, poussé jusqu’au changement de tous les bogies de la rame (permutés avec ceux de la rame n°346), une remise en peinture partielle, un nettoyage complet intérieur/extérieur, le changement de certains organes comme le transformateur, compresseur, ou des éléments de toiture… Un travail réalisé par une équipe d’agents du Technicentre Atlantique, venu compléter celui des bénévoles et volontaires qui l’avaient maintenue en vie lors de son stockage à La Rochelle notamment… Nouvelle preuve, s’il en fallait une, de l’attachement des agents à cette rame unique, témoin d’une époque technique et informatique, des innovations que ces rames comportaient, et du savoir-faire ayant permis les deux records de vitesse en 1989 et 1990.

Une journée donc riche en émotions en tous genres… Les souvenirs qui remontent, celui du petit gamin que j’étais sur le quai en enrobé rouge de la gare de Vendôme TGV, qui trépignait d’impatience pour son premier voyage en TGV. La surprise de la voir à St Pierre des Corps quelques jours seulement après sa sortie de rénovation Lacroix. Les nombreux moments aperçus à Montparnasse depuis 2014. Son dernier galop à 300km/h, au PK 166, avec le son du sifflet et ses échos dans la vallée du Loir qui résonnent dans le coeur. Son retour en Ile de France, capturé à Versailles… Et maintenant là, à prendre la pose près de ce bolide mythique, à monter en cabine, à l’immortaliser sous toutes les coutures, à passer des heures à bord sans vouloir en redescendre…
Indéniablement, cette rame est et restera particulière, à mes yeux comme à ceux de beaucoup de collègues et de passionnés, cela ne fait aucun doute.
Et aujourd’hui ?
Près d’un an après cet ultime événement, et quelques mois après la célébration en grandes pompes des 40 ans du TGV (où la 325 a fait une dernière apparition à Villeneuve St Georges pour une photo de famille avec les rames 16 et 4402), le coeur est un peu gros, puisque la rame 325 n’est malheureusement pas préservée en intégralité. Les deux motrices sont conservées, une pour exposition dans l’enceinte du Technicentre Atlantique, et l’autre (accompagnée d’une remorque) pour la Cité du Train de Mulhouse. Si l’on ne peut que se réjouir d’un tel ajout à une collection, l’amertume reste néanmoins dominante face au travail réalisé par l’ensemble des collègues sur la totalité de la rame pendant ses derniers mois avant présentation en mai 2021.
Le constat est également triste, puisqu’aucun lieu n’a officiellement l’usage permettant aujourd’hui la préservation sécurisée et saine (hors d’intempéries…) de matériels ferroviaires de grande longueur. Peut-être y aurait-il une piste à creuser, quand on sait que d’ici quelques temps, la majorité des matériels radiés seront des trains blocs « automoteurs », indissociables, et qu’ils constituent, en plus d’une vocation de fer-de-lance en matière de savoir faire, un immense potentiel pédagogique. Pour être moi-même sorti d’un court cursus en école d’ingénieurs en spécialité ferroviaire, les applications théoriques demeurent malheureusement trop peu nombreuses, ainsi que dans les matières plus scientifiques, qui mériteraient la mise à disposition d’outils pour une mise en oeuvre concrète, afin de donner les mêmes chances de réussite à tous les profils cognitifs d’étudiants, en toute équité.

Quoi qu’il en soit, je reste intimement convaincu une fois de plus, que l’on peut travailler ensemble, entreprises, bénévoles, partenaires, agents, à l’imagination d’un lieu qui pourrait permettre tout cela sans faire « mourir » le patrimoine. L’utilisation et la valorisation du patrimoine ferroviaire ne demanderaient qu’à se tourner vers ce que d’autres ont développé depuis des années, du Japon au Québec, en passant par la Suisse pour ne citer qu’eux.
Le TGV a réinventé le transport de voyageurs par le rail à une époque où son avenir à l’aube du XXIè siècle était plus qu’incertain. Je pense qu’il ne tient qu’à nous pour inventer une sorte de lieu hybride, à mi-chemin entre une « Cité de l’Innovation », un centre de formation et un showroom pour les industriels qui pourraient s’y implanter. Car ce train si moderne et actuel fait aujourd’hui également partie du passé, et même si cela semble un peu fou car il nous semble tout sauf désuet, le TGV s’inscrit désormais à la page du patrimoine ferroviaire. Il est à la fois notre présent, le futur, mais il est aussi dorénavant dans le passé. Le TGV a réinventé notre façon de « consommer le transport », il a remodelé la France, parfois l’Europe. Il a mis les déplacements à son échelle, et nos habitudes avec. Aujourd’hui, rien n’est prévu pour l’accueillir en intégralité dans notre réseau de préservation et de valorisation du patrimoine. Le TGV doit-il là aussi réinventer les choses, pousser les murs et les codes actuels pour se créer un écrin à son image pour raconter son histoire…?
Si la crise sanitaire de la COVID-19 a fragilisé l’économie et a montré que les entreprises étaient plus que jamais contraintes de centrer leurs activités sur la production pour rester à flots, elle a ainsi mis en avant le fait que des entreprises comme SNCF n’étaient peut-être plus nécessairement les structures les plus adaptées pour mettre en place de telles actions hors-production (et donc hors bénéfices). Les besoins existent pourtant et les moyens peuvent être mis par des bénéficiaires pour tirer le meilleur profit des collections, en toute complémentarité au réseau actuel de valorisation du patrimoine. Resterait alors à imaginer et mettre sur pieds une approche différente pour inclure tous les intervenants légitimes, tout en protégeant les intérêts de chacun sans augmenter les fragilités économiques. Il serait, je pense, irresponsable et inconscient de demander à une unique entité comme SNCF d’assumer maintenant la préservation et l’entretien d’un ensemble complet comme cette rame de presque 240m de long. En revanche, il serait sans doute extrêmement pertinent de lui permettre de procéder à cette préservation en imaginant les possibilités pour l’utiliser et la valoriser, sans endosser la charge organisationnelle, financière et fonctionnelle de cette structure. Bref, je m’égare, mais mon côté optimiste m’amène à croire qu’il y a encore plein de choses à créer.
La création et l’innovation sont souvent le fruit d’esprits visionnaires que beaucoup considèreraient comme fous. « Soyez insatiables, soyez fous ! » disait Steve Jobs… Mais ces esprits fous ne sont en réalité souvent alimentés et abreuvés que par la passion, par l’envie de transmettre, d’être moteur pour les suivants en tentant d’apporter leur pierre à l’édifice. Je n’ai pas la prétention d’être l’un de ces « fous » qui révolutionnent le quotidien et qui réussissent à faire de grandes choses. Je sais en revanche qu’en travaillant ensemble, en ramant tous dans le même sens en entendant nos intérêts respectifs, on pourrait y arriver.
Et je sais qu’un des points de départ de cette passion, celle qui m’anime depuis plus de vingt ans, qui me pousse à réaliser mes rêves et à imaginer, créer, réinventer, vient de cette petite fiche verte, que j’avais trainée jusque sur le parking de la gare de Vendôme Villiers sur Loir, juste avant mon premier voyage en TGV, et cette première rencontre avec cette rame unique et mythique, la 325…

Merci Théo pour ce récit très touchant et troublant.
Une chance sur 105!
J’aimeJ’aime