C’est vrai ça, aujourd’hui, on prend le train comme on passe un coup de téléphone. Mais comment s’y prend-on pour créer, pour dimensionner un train ? Comment définit-on une certaine « architecture » ? Pourquoi certains trains ont des bogies communs, et d’autres pas ? Pourquoi certains trains sont-ils plus larges que d’autres ? Pourquoi les trains que l’on conçoit aujourd’hui ont des voitures plus courtes que les voitures Corail tant regrettées par certains ?
Pour essayer de répondre à ces questions, je vous propose un article un peu plus technique que d’habitude. Evidemment, pour essayer de rendre les principes accessibles à tous, je vais un peu simplifier les choses. L’important ne repose pas sur les chiffres exacts, mais bien sur le principe. Pour illustrer tout cela, je vais vous parler d’un train actuellement en essais, le RER NG, et je vais essayer de vous proposer quelques visuels pour se représenter les choses. Le but n’est pas non plus de vous proposer un cours d’ingénierie, mais de vous distiller quelques notions simples…
Et pour cela, nous allons « re-concevoir » ensemble ce nouveau train de banlieue, et nous allons voir si les choix faits par Alstom et (feu) Bombardier, sont si surprenants que cela…
La définition du besoin
Commençons par le commencement. Quand on crée un train, il faut d’abord que l’on sache à quel « besoin » il va répondre, et quelle utilisation il aura. On va dire que c’est le « cahier des charges ». Est-ce que le train devra rouler (très) vite ? Faire des arrêts nombreux et fréquents ? Être très capacitaire ? Toutes les réponses à ces questions vont nous orienter vers une « catégorie » de train, qui va définir un « programme de traction », c’est à dire la façon dont les performances du train vont être dictées pour remplir les tâches qui lui seront confiées.

Le cahier des charges nous donne aussi des informations assez importantes, comme par exemple, le nombre maximal de voyageurs qui devront être admis à bord (pour un train de voyageurs évidemment). Pour un train de marchandises, on va pouvoir préciser que l’on souhaite loger X tonnes de chargement sur notre wagon.
La masse, paramètre dimensionnant
C’est là qu’on commence à imaginer à quoi va ressembler notre train, déjà car il faut que tout ce petit monde tienne à bord (qu’il y ait la place nécessaire), mais surtout car il faut que le train soit suffisamment « fort » et armé pour admettre la masse que le chargement représente, et surtout, qu’il soit en mesure de le protéger.
Prenons un exemple. Quand on veut déménager, ou tout simplement transporter une marchandise (comme le vase en porcelaine de mamie), on va d’abord évaluer à quel point cette marchandise est fragile, et on va adapter l’emballage à sa fragilité, pour ne prendre aucun risque. En gros, plus la marchandise est fragile, plus on va mettre de papier bulle autour. Plus elle est grande, plus la couche de papier bulle sera épaisse, et donc, lourde. Vous pouvez essayer : une simple petite couche de papier bulle autour d’un buffet en chêne massif, lancé du quatrième étage, ça ne protège pas grand chose… Un peu comme des vêtements (trop) fins quand on tombe…
Pour un train, c’est la même chose. Entre le contenu (voyageurs ou marchandises) et le contenant, on va quand même chercher à protéger le contenu. La seule différence, c’est que le papier bulle du vase de mamie est remplacé ici par la caisse du train (sa structure), et tous les éléments de confort qu’on attend (valable pour un train de voyageurs, mais aussi pour les groupes frigorifiques pour le transport de primeurs par exemple). Donc plus on va avoir de contenu à protéger, plus il va falloir que le train ait une structure importante, avec des équipements, et donc plus le train sera lourd.
Il existe une relation mathématique entre la masse de ce que l’on cherche à transporter, et la masse de la caisse. Un coefficient permet, à partir de la masse du contenu, de déterminer celle du véhicule. Vous vous doutez bien qu’un train de voyageurs nécessite plus d’équipements qu’un train de marchandises. Pour un train de marchandises, on va arrondir ce coefficient « adimensionnel » à 1,5. Pour un train de voyageurs, tout va dépendre de l’utilisation du train. Un train de banlieue n’aura pas le même « niveau de confort » qu’un train de nuit, ou qu’un TGV, dans lesquels on va pouvoir passer 4, 5, 6, 7, 8 ou 10 heures à bord, d’une seule traite. Globalement, pour du transport de voyageurs, ce coefficient oscille entre 2 et 10. 2 étant ce que l’on appliquera à un métro, à un tramway ou un train de banlieue à 2 niveaux, et 10, ce que l’on appliquera aux trains grandes lignes.
Donc pour un train de banlieue, qui devrait transporter environ 1800 personnes, que cela nous donne-t-il ? Et d’ailleurs, combien ça pèse, 1800 personnes ?
Pour faire nos calculs, on va avoir besoin de savoir combien pèse, en moyenne, une personne. Mais comme on ne prend que rarement le train tout seul, il va aussi falloir prendre en compte tout ce que l’on va emmener dans le train avec nous ! Typiquement : les bagages (entre autres).
On estime qu’en France (pour ce type de matériel, avec ce niveau de confort, etc.), entre les enfants, les adultes, et les bagages, on arrive à une masse moyenne de 70kg par personne. Cela peut vous sembler peu, mais vous allez voir que c’est déjà assez contraignant…
Bon. Faisons nos calculs. 1800 personnes de 70kg en moyenne, cela nous fait 126 tonnes. Rien que de passagers et de bagages. Appliquons un coefficient arrondi à 3 pour un train de banlieue moderne à 2 niveaux (car équipé de climatisation, marches mobiles, combles lacunes, écrans d’information…), et on obtient une masse totale du train de 378 tonnes.
Bon, ça, c’est fait. On sait que notre train pèsera 378 tonnes. 378 tonnes, qu’il va falloir répartir dans plusieurs voitures et/ou motrices, qui pour le coup, vont nous permettre de travailler sur la longueur du train et des caisses.
Caisses longues ou caisses courtes ?
Le cahier des charges nous donne généralement la longueur du train. Celle-ci est souvent dictée par les infrastructures : il faut que le train puisse être suffisamment long pour accueillir tout le monde, mais pas trop, sans quoi il ne tiendrait pas entièrement à quai.
On essaie donc maintenant de remplacer un matériel ancien par un matériel nouveau de longueur équivalente : 200m pour un TGV, 130m pour un train de banlieue « Z2N » à 5 caisses, 112m pour une MI2N (Z22500) à 5 caisses…
De cette façon, sur des emprises très contraintes comme en Ile de France, pas forcément besoin de tout repenser : longueur des quais, position des accès voyageurs, implantation de la signalisation…
Là, deux choix s’offrent à nous. Faire un train avec peu de caisses, mais de grande longueur (comme des voitures Corail), ou faire un train avec plus de caisses, mais qui, à longueur totale égale, se retrouvent plus courtes. Que faire ?


« Quelle importance ? », me direz-vous. Outre l’aspect « accessibilité » et nombre de portes (à moins d’employer des architectures particulières type Regio2N), la différence entre ces deux configurations est pourtant flagrante, quand on se place en vue de dessus et dans une courbe.
Si on trace le contour extérieur dessiné par le train lors de sa circulation dans la courbe, voici ce que l’on obtient :


Cette limite, en rouge, c’est une des composantes de ce que l’on va appeler « le gabarit« . Le gabarit, c’est l’enveloppe maximale qu’un véhicule ferroviaire peut occuper. Pour simplifier et vous donner une idée de représentation, le gabarit, c’est un peu comme un tunnel qui serait exactement à la taille du train. Tout ce qui est plus grand que cette enveloppe « engage le gabarit » et on pourrait se retrouver avec deux trains qui se frotteraient en courbe, ou un train qui serait râpé en frottant contre un tunnel, ce qui serait plutôt fâcheux… Du coup, il faut qu’on ait un nouveau train qui soit dans la même enveloppe que le train qu’il va remplacer : qu’ils soient conformes au même gabarit, sans quoi, bonjour les dégâts…
Le gabarit tracé juste ci-dessus est principalement dicté par le « ventre », désaxement des caisses, créé lors de leur inscription en courbe. Ce porte-à-faux est d’autant plus grand que les bogies sont éloignés. L’idéal serait de pouvoir rapprocher les bogies, pour diminuer le porte-à-faux et rester dans les limites de notre gabarit.
On l’a vu, notre train aura une capacité d’environ 1800 personnes (et bagages…). C’est beaucoup. Et ça prend de la place. Donc ce serait sans doute bien de pouvoir offrir un peu plus de place aux voyageurs pour qu’ils voyagent dans de meilleures conditions. Typiquement, à défaut de pouvoir changer la longueur du train, le faire un peu plus large serait une bonne idée. Sauf qu’on ne pourra pas élargir les caisses sans engager le gabarit. Alors que faire ?
On se rend compte que chercher à rapprocher les bogies revient un peu à faire des caisses plus courtes. En effet, si on fait des caisses plus courtes (et donc plus nombreuses), l’inscription en courbe est meilleure. Dit autrement, en gardant le gabarit du train précédent, on voit que le simple fait de raccourcir les caisses permet de « discrétiser » un peu plus l’arc de cercle formé par le train. C’est comme créer un polygone dont on augmenterait le nombre de côtés, pour arriver jusqu’à un semblant de cercle.

Cela nous permet donc de nous rapprocher de la courbe, et ainsi de gagner de la marge sur les côtés, pour faire des caisses plus larges !


Je récapitule. On va faire un train pouvant accueillir 1800 personnes, avec une longueur totale identique à l’ancien, mais proposer plus d’espace avec un train plus large, grâce à des caisses plus courtes et plus nombreuses. Je trouve personnellement que ça commence à sentir plutôt bon, non ?
Au passage, rapide calcul pour avoir un ordre de grandeur en tête. Une rame de 130m avec 5 caisses donne une longueur de caisse moyenne à 26m. Une rame de même longueur totale avec 7 caisses, donne une caisse de 18,5m de long en moyenne.


Bon, je vous l’accorde, ça, c’est vrai en courbe. En alignement (on ne parle pas de « ligne droite » mais bien « d’alignement »), un train plus large (tout en étant parfaitement aux normes et conforme au gabarit) peut donc empiéter sur des éléments à proximité immédiate du train, comme un quai de gare par exemple… Mais du coup, vous comprenez mieux pourquoi il a fallu raboter des quais à l’arrivée des Régiolis et autres Regio2N, qui avaient été qualifiés de « trains trop larges »…
Maintenant qu’on a notre masse totale, notre nombre de caisses, la longueur inchangée, et des caisses plus nombreuses car plus courtes mais plus larges, reste à voir comment les assembler…
Rame articulée ou pas ?
Certains se sont étonnés (à juste titre) lors de la sortie de photos ou vidéos du RER NG, du fait qu’il n’ait « pas de bogies communs ».
Pour résumer, il est vrai que depuis l’ère TGV et les années 1970, il est de plus en plus courant de voir des trains qui n’ont plus 2 bogies sous chaque caisse, mais 1 seul bogie commun, partagé par 2 caisses adjacentes.
Le cas du TGV est encore particulier dans cette règle, puisque c’est lui qui définit le concept de rame (ou en tous cas de « tronçon ») articulé(e). Pour être une rame articulée, il ne suffit pas de partager un bogie entre deux caisses, mais de faire reposer sur un bogie, un anneau de liaison (ou anneau d’intercirculation), qui permet de tenir les deux remorques entre elles. En gros, si vous prenez un TGV par les remorques, et que vous les soulevez, les bogies resteront au sol. Beaucoup de matériels comme les AGC, Francilien (NAT), Régiolis et Regio2N, partagent des bogies à 2 caisses, sans pour autant être de « vraies » rames articulées. C’est pourtant tout ce qui fait la particularité du TGV, sa rigidité, et son excellente tenue de voie. On l’associe souvent au bogie commun, mais elle réside plus particulièrement dans cet anneau d’intercirculation, qui est, lui, bien propre au TGV.
Faire de la rame articulée (ou s’y assimiler), c’est bien, et ça a plusieurs avantages :
– on diminue le nombre de roues, donc les frottements entre roue et rail, et on limite ainsi les pertes d’énergie et/ou la consommation du train. Ca aussi, c’est plutôt cool.
– on place les bogies aux extrémités des caisses, et non plus sous celles-ci. Ainsi, personne ne se retrouve assis « sur les roues », et on augmente le confort à bord, notamment en diminuant les vibrations et le bruit de roulement dans les salles.
– on abaisse le centre de gravité du train. Les roues étant placées entre les remorques, on peut ainsi les surbaisser, et abaisser les masses importantes suspendues. Le point positif est que cela permet d’améliorer la tenue de voie, en limitant les mouvements parasites de la caisse (qui « tangue » moins – on parlera d’un mouvement de « lacet« ).
Mais a-t-on besoin de tout cela pour notre train ? Peut-on vraiment se dispenser de ces roues en plus…?
Si les points 1 et 2 sont intéressants quel que soit le matériel roulant, abaisser le centre de gravité du train peut ne pas être très pertinent. Typiquement dans notre cas, où le RER NG doit être adapté en majorité à des quais hauts. En effet, sa circulation sur les lignes D et E lui permettra de rencontrer des quais hauts et bas sur le RER D, mais exclusivement des quais hauts sur le RER E. Les seuils de portes doivent donc être à la norme des « quais hauts » pour que le train y soit accessible. Pour les quais bas de la ligne D (minoritaires), une marche mobile permettra d’accéder au train. N’oublions pas que ce train est conçu communément pour les 2 lignes, et qu’on essaie de limiter les particularités de chaque sous-série.
De plus, des caisses hautes permettraient de loger certains équipements sous la caisse si celles-ci n’avaient qu’un niveau, donc de déplacer certains équipements techniques lourds sous la caisse, et de réduire le mouvement de lacet en forçant l’abaissement du centre de gravité « technique » du train. Toujours est-il que ce mouvement de lacet reste moindre que sur d’autres trains, puisque tous ses équipements ne seraient pas répartis sur toute la toiture du train, et que sa vitesse maximale (140 km/h), reste bien moindre que celle d’autres matériels à la conception pourtant plus défavorable (Regio2N V200 par exemple).
A ce stade, le doute est encore permis. Rame articulée ou pas ? Pour le déterminer, nous allons faire un dernier calcul. Peut-on se dispenser de ces roues supplémentaires sur une architecture plus « classique » ?
Depuis le début de cet article, nous parlons beaucoup de masses. C’est le critère qui a été déterminant jusque-là (et qui le restera jusque dans la détermination de la force motrice que pourra développer le train). Mais le réseau ferré est-il capable de supporter cette charge ?
Pour chaque type de véhicule ferroviaire (motrice/locomotive, voiture/wagon, train à grande vitesse), il existe une limite de masse, exprimée à l’essieu. Tout cela dépend évidemment de la vitesse à laquelle le train va circuler. Un train circulant à grande vitesse devra être plus léger qu’un train de marchandises, plus lent, ou qu’un train de voyageurs conventionnel.
La limite de masse admissible pour un véhicule ferroviaire non motorisé (hors TGV) est généralement de 20 tonnes à l’essieu (22,5t pour certains véhicules de transport de marchandises – wagons -, moyennant toutefois une limitation de vitesse). Autrement dit, une voiture/un wagon avec 2 bogies de 2 essieux ne pourra pas dépasser les 4×20 = 80 tonnes. Pour un véhicule motorisé, c’est un peu plus, soit 22,5 tonnes à l’essieu, donc 90t pour une locomotive de type BB (ou BoBo). Mais le cas le plus contraignant reste le cas général d’un véhicule non motorisé (typiquement, une voiture voyageurs) limité à 20t/essieu.
Combien « pèse » une caisse de notre train ?
Nous avons calculé tout à l’heure une masse totale de 378 tonnes. Nous avons aussi vu que l’architecture à 7 caisses courtes était un bon compromis. Cela nous donne une moyenne de 54 tonnes par voiture. Ces 54 tonnes doivent donc reposer sur suffisamment d’essieux. A raison de 20 tonnes par essieu, cela nous donne 2,7 essieux nécessaires par caisse (54/20 = 2,7). « Difficile » d’ajouter 0,7 essieu (c’est un euphémisme…), donc arrondissons à l’entier supérieur, soit 3 essieux. Quoi qu’il en soit, avoir une rame complètement articulée avec des bogies communs équivaudrait à n’avoir que 2 essieux pour chaque caisse, ce qui est insuffisant. A moins d’imaginer un bogie commun à 3 essieux (ce qui ferait 1,5 essieu à chaque extrémité de chaque caisse), les caractéristiques de notre train ne nous permettent donc pas de songer à une rame 100% articulée.
Alors penchons-nous sur une autre question. Comment avoir juste les 3 essieux nécessaires pour notre véhicule ?
A moins de revenir au temps des voitures « trois pattes », qui avaient un essieu à chaque extrémité et un essieu central (et à l’inscription en courbe délicate), il n’y a pas 50 solutions…
La seule possibilité serait d’avoir un bogie commun à une extrémité, et un bogie propre à la voiture à l’autre extrémité. On pourrait ainsi former des couples de voitures articulées qui ont le nombre d’essieux strictement nécessaire à supporter leur masse. Exactement à la manière des wagons Modalohr.

Sauf que cela pose un souci. Non seulement on perdrait une partie du gain des caisses courtes, puisqu’on éloignerait à nouveau les bogies que l’on vient pourtant de rapprocher (pour limiter le porte à faux en courbe, donc libérer du gabarit pour faire des caisses plus larges), mais on rendrait aussi et surtout la production de ces rames impossible. Pourquoi ?
On l’a dit, ces rames sont conçues pour la ligne D et la ligne E. Les rames de la ligne D doivent pouvoir faire 130m de long, et celles de la ligne E, 112. Soit 18m de différence entre nos deux sous-séries. Or, on a calculé tout à l’heure que notre caisse moyenne passait de 26m à…18,5m. Merveilleux ! Là encore, je trouve que ça tombe plutôt bien… Autrement dit, la production des rames D et E est quasi identique, à la différence près qu’on peut aisément avoir 2 longueurs de rames différentes à partir des mêmes caisses, simplement en variant leur nombre. Très bien vu !
Les rames de la D auraient ainsi 7 caisses, et celles de la E, seulement 6.
Du coup, si on venait articuler les caisses deux à deux, on se retrouverait avec un souci dans le cas des rames de la D, puisqu’ayant un nombre de caisses impair, une caisse ne pourrait pas être articulée, et devrait avoir 2 bogies propres. Et la répartition des caisses empêcherait de la situer en milieu de rame, et donc d’avoir une architecture simple et symétrique. Bref, un sacré casse-tête, aussi pour la maintenance…
Du coup, pas possible de n’avoir que des bogies communs (pas assez d’essieux pour supporter la masse du train), et pas possible non plus d’avoir 3 essieux par caisse. Alors au final, ne serait-il pas pertinent de passer à 2 bogies à deux essieux par caisse ?
C’est la seule chose à faire. Et même si en faisant cela, on « sur-dimensionne » notre train et sa capacité à supporter ses 378 tonnes, on a au moins une solution viable, qui permet d’industrialiser les remorques toutes sur le même modèle, et de varier le nombre de caisses, donc la longueur de la rame, pour la proposer en plusieurs déclinaisons. Surtout qu’avoir un peu plus de roues permet de disposer de plus d’essieux freinés, donc de meilleures performances de freinage. Bref, tout semble optimisé, et on se retrouve dans la même situation que les MI2N qui ont permis de développer aisément les variantes SNCF et RATP, ainsi que les TER2NNG, qui ont permis de décliner des Z24500 à 2 et/puis 3 caisses, et des Z26500 à 4 et 5 caisses, sans toucher au taux de motorisation, donc aux performances des rames, quelle que soit leur longueur. Qu’on aime ou pas ces matériels, il fallait vraiment y penser. En matière d’ingénierie, je trouve cette optimisation tout simplement brillante.
On récapitule ?
Notre cahier des charges nous demandait :
– 1800 personnes
– 130m de long pour le RER D, 112m pour le RER E
– conception commune RER D/RER E
– train capacitaire
– performances importantes
Et au final, nous avons un train permettant d’accueillir 1800 personnes, dans des rames plus larges pour offrir plus d’espace, capacitaires, avec plus de caisses, plus courtes (avec plus de portes, plus larges et plus proches, pour la version RER D, comparé à une Z2N 5 caisses), déclinables en version 112m et 130m aisément, avec une seule base commune aux deux lignes, et un nombre d’essieux légèrement plus important que nécessaire, mais qui permet d’accroitre les performances de freinage.
Je trouve que notre résultat est quand même plutôt conforme à ce que l’on attendait… Alors évidemment, je n’ai pris que ces contraintes-là, je sais qu’un vrai cahier des charges mentionne bien plus de contraintes, mais cet article n’a pas vocation à reprendre entièrement la conception du train. D’ailleurs, j’ai illustré mon propos avec ce que l’on sait du RER NG, mais c’est valable avec n’importe quel autre matériel. Ce n’est ici qu’une esquisse de conception de matériel roulant.
Mais au final, notre train ressemble-t-il au vrai RER NG ?
Dans les grandes lignes, oui. Tout ce que nous avons calculé ici ensemble, décrit des caractéristiques du train réel. Je n’ai fait que simplifier les calculs et arrondir les valeurs pour que ce soit plus simple. On vérifie ?
RER NG est un train composé de 4 ou 5 caisses à 2 niveaux, encadrées par 1 caisse à 1 niveau à chaque extrémité, portant les cabines de conduite. On dispose ainsi de 2 caisses avec un espace suffisant sous le plancher et en toiture, pour y installer des équipements imposants.
Le marquage du train réel en version 7 caisses fait état d’une masse de 360 tonnes, contre 378 calculées ici, soit un « petit » écart de 18 tonnes seulement (ou 5%).
Si on prend le calcul à l’envers, et en considérant que (contrairement à la masse) la capacité affichée sur la page Wikipédia du RER NG est correcte (1861 personnes), on voit qu’il n’y a un écart de capacité que de 61 personnes, pour un facteur dimensionnant de 2,76, contre 3 utilisé ici, soit un écart de seulement 0,24.
Cela donne, sur le train réel, une masse moyenne par caisse de 51,43 tonnes, contre 54 tonnes calculées ici, soit, cette fois, une marge d’erreur de moins de 5% (4,7% pour être exact).
Côté nombre d’essieux, nous avions calculé 2,7 essieux nécessaires par voiture. Sur le train réel, cela nous donne 2,57 essieux nécessaires. En somme, il est bien impossible d’avoir un RER NG 100% rame articulée, et les problématiques d’architecture du train pour avoir des caisses standard, demeurent les mêmes. Dans les 2 cas, théorique et réel, on trouve bien un nombre d’essieux « juste » de 3 par caisse, majoré à 4 pour avoir une architecture classique avec 2 bogies « 2 ».
Bref, j’espère que cette petite démonstration vous aura plu, et vous aura permis de vous faire un avis et de comprendre comment sont dimensionnés nos trains. Je n’ai pas abordé ici la partie traction/freinage, résistance à l’avancement et limite d’adhérence, ce sera peut-être pour un prochain article… De même, je n’ai utilisé que des informations connues car diffusées sur internet, et des postulats déductibles en analysant les photos de ce matériel. Aucune information interne ou confidentielle n’a été utilisée. Je n’ai fait que mettre à profit quelques connaissances et souvenirs d’école d’ingénieurs pour monter cette petite démonstration.
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques en commentaires, si ce type d’articles vous plaît !
En tous cas si vous êtes curieux, vous pouvez tout à fait refaire ce petit exercice appliqué à d’autres matériels, et ainsi imaginer de façon cohérente ce que seront les matériels roulants de demain (MI NG, Z2N NG…), ou comprendre certains choix d’architecture…
Bonjour,
Merci pour cet article.
Pourriez-vous m’indiquer la source (lien) de cette phrase : « Le marquage du train réel en version 7 caisses fait état d’une masse de 360 tonnes » ?
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Bonjour,
La photo en haut de l’article laisse ce marquage visible.
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En complément, vous avez une vidéo sur cette publication Facebook qui laisse apercevoir le marquage du train 7 caisses : https://www.facebook.com/100005178128320/videos/1718417061674215/
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Bravo pour cet article didactique qui simplifie bien les choses. Très intéressant
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La masse moyenne utilisée en conception est de 70kg / passagers (baggage compris), mais supposons qu’un beau matin notre train se retrouve rempli à pleine capacité d’une délégation nombreuse, disons de supporteur et joueurs de rugby montant du Sud-Ouest vers la capitale, tous significativement plus lourds que la moyenne française, le train ne risque-t-il pas de dépasser sa limite de poids à l’essieu ? Est-ce que les marges de conception des trains et des voies tolèrent ce genre d’écart sur le réseau de temps à autre ? Est-ce qu’au contraire la SNCF doit vérifier qu’elle n’excède pas le poids à l’essieu et doit prendre des mesures pour alléger le train en question et éviter d’abimer les voies ?
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Ces variations sont absorbées par le coefficient adimensionnel utilisé dans la conception du train. Lors de l’homologation, le train doit être fidèle à des caractéristiques bien précises, et des essais sont aussi réalisés en charge. Pour développer légèrement le sujet, plusieurs niveaux de charge existent, du train vide au train en charge normale, jusqu’à la charge exceptionnelle. Faire circuler un train plus lourd pourrait alors impliquer des restrictions sur la circulation. En revanche, les trains ne passent pas à la pesée avant chaque départ et une fois pleins, non. Les variations de masse sont compensées à la conception du train. Et puis la masse moyenne évolue avec le temps, et parfois même d’un pays à l’autre. L’idée est que le train reste évidemment toujours conforme à ses spécifications techniques.
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